Claire PRUGNIER
Avocat au barreau de Paris

La rémunération des artistes-interprètes à l’heure du streaming


En France, un accord historique pour une rémunération plus équitable des artistes-interprètes sur les revenus du streaming a été signé entre les principaux acteurs de l’industrie musicale.

En effet, le Ministère de la culture a présenté le 16 mai 2022 l’accord conclu entre les syndicats et organisations qui représentent les artistes interprètes et les producteurs de phonogrammes fixant une garantie de rémunération minimale pour les artistes-interprètes au titre des revenus du streaming.

Cet accord est le fruit de longs mois de discussion et il concrétise un principe garanti par la loi depuis juillet 2016 mais qui n’avait jamais réussi à être traduit dans les faits. 

Ainsi, pour tous les artistes-interprètes touchant des redevances proportionnelles, l’accord prévoit :

Des taux de royalties minimum :

  •  Aux artistes-interprètes principaux sous contrats d’artistes, l’accord accorde une garantie de rémunération minimale de 10% à 11% suivant les cas de figure. L’assiette porte sur tous les revenus perçus des plateformes par les producteurs, y compris les reliquats d’avances non recoupables. De plus, un abattement de maximum 50% est autorisé.
  • Lorsque le producteur n’est pas son propre distributeur - les labels indépendants par exemple - le taux minimum garanti est fixé à 13% en période d’abattements, et à 11% une fois que ces derniers ne sont plus applicables.
  • En cas de contrat de licence (lorsque l’artiste finance lui-même la réalisation de son master) le taux minimum garanti est fixé à 28% et ne peut subir d’abattement. Cela garantit un peu plus d’un quart des revenus du streaming qui vont pouvoir rentrer directement dans la poche de l’artiste.

Une avance minimale de 1000 € brut par album :

 L’article 4 bis de l’accord prévoit le paiement par le producteur d’une avance minimale de 1000 € brut par album inédit, qu’il pourra recouvrer sur ses revenus futurs.

Lorsque le producteur est une très petite entreprise (moins de 10 équivalents temps plein et moins de 2M € de chiffre d’affaires) le montant de cette avance minimale sera réduite à 500  € brut par album inédit.

Une rémunération forfaitaire complémentaire :

Quant aux musiciens rémunérés essentiellement au cachet, ils percevront un intéressement en cas de succès de l’enregistrement au cours des 50 ans qui suivent sa première commercialisation au-delà de 7,5 millions d'écoutes certifiées en France. Le montant de revenus complémentaire sera de minimum 20% du cachet de base qu’ils ont perçus. Dans l’éventualité où les 15 millions d'écoutes sont dépassées, la rémunération sera portée à 25% du cachet de base ; 30% à 30 millions d’écoutes ; 35% à 50 millions d’écoutes et tous les 50 millions d’écoutes supplémentaires par la suite.

Les parties signataires s’engagent également à soutenir tous les producteurs, y compris les plus fragiles, dans le cadre d’un dispositif cofinancé par l’Etat : le Fonds National Pour l’Emploi Pérenne dans le Spectacle (FONPEPS) qui soutient l’emploi dans le spectacle vivant et enregistré.

Attention, il convient de bien noter que cet accord est non-rétroactif et sera applicable pour toutes les sorties d’album à partir du 1er juillet 2022.

 

Au Royaume-Uni, la récente affaire opposant l’artiste Four Tet à Domino Records a fait grand bruit. Pour rappel, l’artiste avait signé un contrat avec Domino Records en 2001 avant l’avènement du streaming. Il recevait jusqu’à présent un taux de redevance de 18% sur les écoutes provenant du streaming et les téléchargements de ces disques, taux qui ne s’appliquait contractuellement qu’aux ventes physiques.

L’artiste soulevait que cette rémunération n’était pas juste et réclamait un taux de 50% sur le streaming et les téléchargements. Les tribunaux ont fait bon droit à sa demande en juin dernier et le label a accepté d’honorer le taux de redevance de 50%. L’accord conclu entre les parties prévoit également que ces revenus devront être traités comme explicitement issus de l’exploitation digitale, plutôt que comme une exploitation équivalente aux ventes physiques. Plus précisément, jusqu’à présent les contrats conclus avec Domino Records ne prévoyaient pas expressément la cession des droits sur le streaming. Ces écoutes étaient en effet associées aux ventes physiques. 

L’accord pourrait servir de précédent dans ce type de litiges, notamment pour inciter d'autres artistes à adopter une position similaire, à savoir revenir sur le taux de redevance applicable aux écoutes provenant du streaming mais également prévoir expressément la cession des droits sur le streaming dans les contrats conclus avec les producteurs.

Cependant il convient d’être vigilant car l’accord ne vaut que pour les contrats dont la rémunération en contrepartie de l’exploitation digitale n’était pas explicite. Pour les contrats de cession prévoyant explicitement cette redevance, il sera plus difficile de faire valoir ce précédent à l’appui de revendications.

A l’avenir les tribunaux devraient donc pouvoir appliquer cette position. D’ailleurs à ce sujet, les législateurs britanniques ont récemment demandé une mise en œuvre généralisée du taux de rémunération minimale à 50% sur les écoutes. En effet, suite à la révolution numérique dans l’industrie mondiale de la musique au début des années 2000, le streaming musical s’est imposé comme le canal de distribution musical le plus étendu. Un projet de loi actuellement en deuxième lecture à la “House of Commons” se prépare à modifier le CDPA (Copyright Designs and Patents Act) en introduisant une rémunération équitable minimum pour les artistes-interprètes lorsqu’ils ont cédé leur droit de mise à disposition, relativement à un enregistrement sonore, à leur maison de disque.


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